"and the Anonymous Nobody" marque le retour gagnant de De La Soul après un silence discographique de plus de dix ans. Mais qui est cet "Anonymous Nobody" ?
"Saviors, heroes? Nah. Just common contributors hopin' that what we created inspires you to selflessly challenge and contribute. Sincerely, anonymously... nobody."
C'est sur ces mots que Dave alias Trugoy conclut le huitième album de De La Soul, laissant peut de doute sur l'identité du mystérieux inconnu: la communauté Kickstarter qui, par ses dons, a permis au groupe d'enregistrer cet album avec un comfortable budget de plusieurs centaines de milliers de dollars. Ce qui soulève inévitablement la question: est-ce qu'un groupe comme De La a besoin d'un pareil budget pour enregistrer un album? Non. Mais bien sur, le trio n'est pas tombé dans le piège évident consistant à s'efforcer de claquer cette somme obscène jusqu'au dernier centime, quitte à ce que la nécessité de dépenser tout cet argent serve de seule ligne directrice à l'album... Si? Eh bien...
Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un œil à la liste des invités: Snoop Dogg, Usher, David Byrne... Force est de constater que les 3 plugs Maseo, Pos et Dave ont tendance à s'effacer devant ces contributeurs pas si communs. Sur "Drawn" featuring Little Dragon, il faut patienter plus de cinq minute pour entendre Pos poser un couplet. Pas mal pour un morceau long de... cinq minutes trente! On se demande presque si cet "Anonymous Nobody" ne serait pas finalement le groupe lui-même...
Mais n'est-ce pas un travers bien connu des albums hip hop d'être noyé par une pléiade d'invités ? D'autant plus que la démarche style "De La Soul presents..." est finalement bienvenue s'agissant de rap, un style où l'album est souvent moins représentatif de la personnalité de son auteur que de la vision fragmentée d'une multitude de producteurs se relayant à chaque tour de piste. "and the Anonymous Nobody" doit donc s'apprécier comme une Production De La Soul à gros budget. Après tout, reproche-t-on à Quincy Jones de ne pas jouer une note sur "The Dude"?
En tout état de cause, l'album se distingue moins par son impressionnant casting que par la diversité des styles abordés. Comme si De La Soul avait avant tout décidé d'enregistrer de la musique au sens large, sans rechercher une quelconque crédibilité hip hop (qu'il n'a de toute manière plus à prouver). Certains morceaux mettent en avant l'expérimentation (le superbe "Greyhounds"), tandis que d'autres sonnent carrément pop (le final "Exodus) ou rock (le hard émulé et ampoulé de "Lord Intended"). L"Anonymous Nobody" pourrait ainsi tout aussi bien faire référence à ce caractère transgenre échappant à toute catégorisation...
A moins qu'il ne s'agisse de ces requins de studio, contributeurs discrets mais omniprésents de l'industrie musicale ? L'album a en effet été construit autour de jams conduits par la fine fleur des cachetonneurs de Los Angeles. Arrangements de cuivres rutilants, lignes de basse groovy et arpèges de guitare contribuent ainsi à une instrumentation live riche et savante, notamment sur le majestueux "Royalty Capes":
"Us 3 be the Omega like fish oil, This royal right be own no rentals". Si le flow est plus posé que par le passé, les jeux de mots en mille feuilles et les rimes complexes du duo de rappeurs Dave et Pos se encore bonifiées avec le temps. Autre perle: "Two words: I'm mortal. But the fans lift'em both together and remove the apostrophe"...
Aucun doute, finalement. Flows fluides et rimes en or: on tient bien là un album de De La Soul.