Dans son dernier film, Jim Jarmusch nous invite à suivre pendant une semaine le quotidien de Paterson, chauffeur de bus introverti exprimant sa vie intérieure à travers la poésie qu'il couche chaque jour par écrit sur son précieux carnet.
Paterson, la ville dont il partage le nom et que lui-même habite, est une paisible bourgade ouvrière du New Jersey comptant, parmi ses célébrités locales, de grands noms de la poésie américaine, William Carlos Williams et son poulain Allen Ginsberg.
Au-delà de son homonymie, on peut donc dire que Paterson, le personnage, personnifie la ville qu'il habite en dissimulant, sous une apparence assez quelconque, les trésors de sa vie intérieure. Le film aborde donc le thème de l'alter ego et de la complétude intra et interpersonnelle. D'où les nombreux clin d'œil à la gémellité et au noir et blanc. Voire encore, le couple que Paterson forme avec Laura, aussi fantasque et expressive que lui-même est secret et contemplatif, et fonctionnant sur l'équilibre subtil de deux personnalités parfaitement complémentaire.
C'est peut-être dans cette idéal de complétude que se trouve la réponse à l'interrogation ultime que semble poser le film, celle de connaître les motivations profondes qui commandent l'acte de création artistique, quel que soit le vecteur par lequel celle-ci s'exprime.
Ainsi, Laura est à la recherche d'un moyen d'expression qui lui permettra de satisfaire sa créativité débridée, c'est au moins autant par souci de réalisation personnelle que pour des raisons plus prosaïque. La question qu'elle se pose la question est avant de savoir si sa nouvelle lui lui permettra de s'assurer un moyen de gagner sa vie, qu'il s'agisse de vendre des cupcakes ou de devenir une star de la country.
Paterson, lui, ne s'inscrit pas dans cette démarche. Il n'a aucune envie de publier ses poèmes, malgré les supplications de Laura. Pourquoi écrit-il, dès lors ? Est-il possible de se contenter de créer pour soi ou l'art doit-il forcément être partagé pour trouver sa raison d'être et sa légitimité? C'est la question qu'il semble se poser, dépité, alors que son chien vient de dévorer son précieux carnet de poème, effaçant à jamais toute trace de son oeuvre sur Terre.
La poésie répondrait donc simplement à un besoin naturel et impérieux d'exprimer sa vie intérieure, ne connaissant d'autre finalité que celle d'être satisfait. Mais alors, pourquoi Paterson ressent-il le besoin de lire ses poèmes à Laura ? Pourquoi est-il si profondément perturbé par la perte de son carnet?
Bien sûr, le film n'apporte aucune réponse à ces questions qu'il ne fait d'ailleurs que suggérer, renvoyant le spectateur à ses propres interrogations. Dont celle-ci: quelle obscure pulsion pousse son auteur à écrire un article de blog qui ne trouvera aucun lecteur ?