dimanche 29 octobre 2017

"Capitaine Superslip" de David Soren (2017)

Derrière sa débilité de surface, "Capitaine Superslip" défend le pouvoir salvateur de l'absurde et de l'imagination comme seuls remparts contre un monde désespérément triste et rationnel, nourri par les névroses des adultes. Mais surtout, quelle poilade!


Le public s'est pas mal déchaîné sur la toile contre "Capitaine Superslip", dernier film d'animation des studios Dreamworks. Bizarrement, la critique "professionnelle", d'habitude plutôt incline à doucher l'enthousiasme des masses, a semblé apprécier, encourageant les spectateurs à ne pas se laisser tromper par la débilité assumée du titre.

En réalité, il n'est pas compliqué de comprendre pourquoi la critique a mieux apprécié ce film que nous autres, pauvres mortels aux goûts désespérément populaires. Le fait est que les salles projetant les films d'animation sont plutôt fréquentées par des familles venues offrir un moment de ciné à leur progéniture.  Quant aux critiques, hé bien c'est leur boulot de mater des films. J'imagine donc que, de la même manière que vous n'emmenez pas vos enfants au boulot, ces projections professionnelles se déroulent entre adultes (et c'est également mon cas:  je vais moi-même voir ce genre de film tout seul, comme un grand!).

Or, les parents semblent se fier avant tout à la réaction de leurs enfants pour juger de la qualité d'un film. Mais pas seulement! Les papas et mamans étant ce qu'ils sont, un tas de trucs ringards et ennuyeux rentrent en compte pour déterminer ce qu'ils ont, eux-même, pensé du film, au premier lieu desquels la "valeur éducative" de l'œuvre.

Et c'est justement là le problème! "Capitaine Superslip" n'est, au premier degré, qu'un délire régressif à l'humour scatologique décomplexé (et totalement jouissif!). Les valeurs morales défendues par le film, l'amour et l'amitié soit rien de très original, semblent traitées à la va-vite, comme pour remplir le cahier des charges. Et pourtant...

Derrière la crétinerie sans fond défendue par le film, se cache une vision du monde aussi exacte que subversive, malheureusement inaccessibles aux trop jeunes enfants et, il faudrait le croire, perdue pour un grand nombre d'adultes.

Georges et Harold sont donc deux élèves de CM1 fréquentant un établissement scolaire cauchemardesque dirigé d'une main de fer par l'irascible Proviseur, Monsieur Chon-Chon. Celui-ci, ultra terre à terre et rabat joie, mène la vie dure à nos deux protagonistes, dont les passes-temps favoris consistent à jouer de sales tours à leurs profs et créer des BD mettant en scène un super héro complétement absurde, le Capitaine Superslip. C'est alors que les deux amis parviennent à hypnotiser Chon-Chon et à lui faire endosser le costume (plutôt léger) de leur personnage favoris. Ils auront alors à affronter le professeur Crotofesses (malheureuse traduction du nom original Poopypants), scientifique timbré bien décidé à faire disparaître le rire de la surface de la planète!

Le film offre ainsi une vision très grise du monde des adultes, normé, ennuyeux, nourri par les névroses des figures institutionnelles qui le dirige et dont les enfants ne sont que les pauvres et innocentes victimes. Car au final, si Monsieur Chon-Chon est si ronchon, c'est qu'il est au fond très seul et malheureux. Quant au professeur Crotofesses, ce sont les moqueries essuyées (et plutôt mal, si j'ose dire) à cause de son nom qui l'ont rendu si amer.
 
En réalité, plutôt que la bêtise et comme le faisait déjà l'excellent "La Grande Aventure Lego", c'est en réalité le pouvoir salvateur de l'absurde et de de l'imagination comme seuls remparts contre un monde désespérément triste et rationnel, que défend le film. Une double lecture sans doute  difficile à appréhender pour des bambins encore épargnés par les vicissitudes de la vie en société. Les adultes, eux, n'ont en revanche pas d'excuse. Alors, Chonchon ou Superslip, choisissez votre camp!

vendredi 27 octobre 2017

Bootsy Collins - World Wide Funk (Mascot Records - 2017)

Dans World Wide FunkBootsy Collins ne déroge pas à la formule initiée il y vingt ans déjà sur Fresh Outta P University. À savoir une liste d’invité longue comme le tarin de Sir Nose et un son à mi-chemin entre tradition P-Funk et tonalités contemporaines.



Lire notre chronique complète sur Funk-U

dimanche 15 octobre 2017

Alice Cooper - Zipper Catches Skin (Warner Bros - 1982)

Retour sur "Zipper Catches Skin", le vilain petit canard de la discographie d'Alice Cooper. Un album à zipper, peut-être, mais surement pas à zapper!




"Special Forces" (1981) est souvent saluée comme une réussite, une habile adaptation du shock rock d'Alice Cooper au style new wave alors en vogue. "DaDa" (1983) déchaîne les passions, certains y voyant un chef d'oeuvre caché et d'autre le naufrage final d'un artiste en plein delirium tremens. En revanche, "Zipper Catches Skin" (1982) est généralement ignoré, coincé entre les deux albums susvisés comme "peau de zob dans une braguette" (c'est effectivement la traduction littérale de son titre).

C'est bien bête.

Ce n'est jamais marrant de voir un artiste sombrer dans l'alcoolisme. Et franchement, le look d'Alice époque "Special Forces" faisait plutôt penser à une drag queen de seconde zone rescapée d'un accident de la route qu'au membre d'un commando urbain terrorisant la ville à bord d'une jeep blindée, comme était sensé le suggérer le thème de l'album. "Zipper...", lui, a au moins le mérite d'être un disque fun et sans prise de tête autour d'un quelconque concept foireux.

Musicalement, le Coop'   poursuit dans la veine new wave initiée par l'album précédent. Mais là où "Special Forces" faisait la part belle aux synthétiseurs, "Zipper Catches Skin" marque un net retour aux guitares tout conservant une approche brute et dépouillée. On peut même y voir, toute proportions gardées, une sorte d'album punk du Coop', pas tellement éloigné de ceux qu'enregistrait Iggy Pop à la même période (genre "Soldier" ou "Party"). Une approche musicale particulièrement efficace et jouissive. En plus, l'album est intelligemment divisés en deux face: la première lente et sophistiquées, la deuxième plus speed et azimutée.

Conceptuellement, et contrairement à la plupart de ses prédecesseurs, "Zipper Catches Skin" ne se rattache à aucun idée centrale, susceptible d'un faire un tout cohérent.
Mon délire personnel est toutefois d'écouter cette album d'une traite en suivant la logique propre d'un zapping télé du samedi soir. On saute entre, sur cette chaîne, un conte de noël  ("Make That Money (Scrooge's Song)" en référence au personnage de Charles Dickens) et, sur celle-ci,  en feuilleton en noir et blanc ("Zorro's Ascent") .

[ Petite parenthèse sur cette "ascension de Zorro" qui ouvre l'album par un rock hispanisant. Alice nous conte la mort du héro ("Zorro gît, sans vie, sous le soleil d'Espagne (...) Il a tiré l'épée de son fourreau. Ils étaient venus avec des flingues" - à propos, les aventures de Zorro se déroulent bien en Californie, alors mexicaine, et non en Espagne!).  En effet, il a passé sa vie à voler son prochain mais avec le soucis de défendre l'opprimé ("Fouille ma poche, padre. Cache cette bourse d'or dans ta coiffe et que les maigre paysans se repaissent du bout de gras arraché à une quelconque aristocrate"). Alors, est-il promis à l'enfer ou au paradis?"Vous embêtez pas à prier pour moi" répond-t-il, car "Je suis le renard et je vais où il me plaît. Si les cieux m'ignorent, le diable m'adore (...) Et si Satan me dérange, le paradis a du boulot pour moi". C'est pas du texte ça? Dommage que les artifices grand guignol aient souvent fait de l'ombrage au talent d'auteur de Vincent Furnier.]

Zap. Sur cette chaîne, on enchaîne deux films de science-fiction. ""Class Of '84", d'abord, starring Micheal J Fox et avec sur sa BO "I Am The Future". Composée par le légendaire Lalo Schifrin et chantée par Alice, cette excellente ballade futuriste dresse le décor d'une société dystopique, rongée par l'isolement et l'insécurité.

Suit une quelconque série B narrant l'invasion de la terre par de belliqueux aliens. "No Baloney Homosapiens" est pourtant dédicacé à Steven Spielberg et E.T, le gentil extraterrestre. Un excellent morceau, introduit pas un superbe arpège de guitare, sur lequel le Coop' supplie une race d'aliens voraces d'épargner l'humanité car ne nous sommes pas des "baloney homosapiens". Le texte est à la fois touchant et marrant car reposant sur un jeux de mot crétin autour du double sens du terme baloney (bidon/saucisse). Les homosapiens c'est pas du bidon ni des saucisses, mais des êtres sensibles. "Mon sang est rouge, vous c'est de la glue noire qui coule. Mais ne pourrions pas, justement, éviter les saignements ? Ca vous irait? ".

Zap! Nous voici maintenant en seconde partie de soirée mais également sur la seconde face de l'album. Très homogène, elle enchaîne des morceaux rock directs et sans fioritures. La trilogie centrale de l'album ("Adaptable", I Like Girls", "Remarkably Insincere") est un film érotique de seconde zone. Alice y campe un séducteur cynique et menteur, prêt à sauter tout ce qui bouge en s'enfonçant dans le stupre et le mensonge.

Zap!  On tombe maintenant sur un slasher movie avec "Tag, You're It" et sa référence au film "Halloween" de John Carpenter. Tapis dans l'ombre, une paire de ciseau entre les doigts, Alice s'amuse à persécuter sa pauvre fiancée, Debbie.

L'album finit sur deux morceaux particulièrement jetés, dopés par les coeurs de Flo & Eddie (les chanteurs des Turtles avec leur tube "Happy Together"). "I Better Be Good" sonne suffisamment punk pour passer pour un morceau des Dead Kennedys. Quant au titre de clôture "I'm Alive", c'est un concentré de crétinerie décomplexée. Sur un tempo effréné, Cooper est sauvé de divers périls par ses défunts animaux domestiques soudainement ramenés à la vie. Le fantôme de son chien le sauve de la charge d'un semi-remorque, celui de son cheval d'une chute dans un canyon, tandis que ses amis les rats lui viennent en aide quand il pénètre imprudemment le territoire urbain de la bande des Crutches.
Bref, vous l'aurez compris: malgré l'absence de classiques, "Zipper Catches Skin' est un sacré délire régressif avec son titre stupide et sa brochette de morceaux débiles. Un album à zipper, peut-être, mais certainement pas à zapper!

"Paradise Alley" de Sylvester Stallone (1978)

"Paradise Alley" ("La Taverne de L'enfer" en VF) ou la première réalisation d'un jeune premier nommé Sylvester Stallone. 


Taverne de l'Enfer


Pour la plus grande partie du public, Sly est cette figure de film d'action bodybuildée dont les hauts faits des années 80 et 90 hantent désormais les premières et secondes parties de soirées sur RTL9.  Ce que beaucoup ignorent, ou ont oublié, c'est qu'avant d'épouser ce stéréotype, la star a percé à travers des rôles dramatiques marquants et écrits sur mesures par Stallone lui-même.

En effet, si la suite de la saga verse dans la beaufitude, le premier "Rocky" (1976) est un excellent drame social hanté par des personnages cassés par la vie et néanmoins très attachants.  Stallone campe ainsi Robert "Rocky" Balboa, un boxeur de seconde zone, profite d'une opportunité pour affronter Appolo Creed, champion du monde des poids lourds. Porté par l'amour d'Adrian, Rocky perdra le match mais gagnera son combat contre lui-même en résistant 15 rounds durands  au gnons et beignes administrées par le charismatique Appolo.

L'histoire du film est bien connue. Stallone, acteur fauché, en a écrit le scénario et accepté de baisser le prix offert par la production, à la condition d'interpréter lui-même le premier rôle, pour lequel Robert Redford avait été un temps pressenti. Un coup de poker qui s'est avéré payant:  trois victoires aux Oscars 1977, le lancement d'une série à succès et une vitrine de luxe pour les talents dramatique et d'écriture de Stallone...

Alors, comment est-on passé de "Rocky" à "Cobra" puis "Expendables"? La tentation hollywoodienne, la concurrence avec Schwarzy, la grosse tête (de l'aveu même de l'intéressé)... La conjoncture temporelle aussi, Sly s'étant vautré avec gourmandise dans le mauvais goût des 80's. La bascule s'est certainement produite en 1985 avec "Rambo 2" mais les tape-à-l'oeil "Rocky 3" et "Staying Alive" (improbable séquelle à "Saturday Night Fever" réalisée par Sly lui-même) en annonçaient déjà les signes avant-coureurs.

Reste qu'avant le déclin, Stallone a eu le temps d'inscrire son nom au générique de films à la trame dramatique un peu plus développées, parmi lesquels ce "Paradise Alley" (1978).  L'allée du Paradis. Une traduction littérale tout de même plus classe que "La Taverne de l'Enfer", nom sous lequel le film est connu en France. Un titre bien gaulois qui fait malheureusement fi de l'ironie de la version originale (le film se déroule à Hell's Kitchen, un quartier craignos de New York). Les italiens ont, eux, opté pour un hybride: "Taverna Paradiso". Allez comprendre...

L'action se déroule en 1942 et suit les déboires de trois frères italo-américains faisant de leur mieux pour sortir de leur misère matérielle et sentimentale. Lennie - le corque-mort unijambiste, raisonné et taciturne -, Cosmo - le beau parleur interprété par Stallone - et Victor - le cadet, gentil simplet bâti comme un chêne. Pour réaliser ses rêves de succès, Cosmo va persuader Victor de se lancer dans une carrière de catcheur. Un projet d'abord vu d'un mauvais oeil par Lennie, qui va néanmoins finir par accepter de manager son petit frère. Des tensions, alimentées par une vieille rivalité amoureuse, vont alors ternir les relations entre les deux aînées alors que Victor se démolit progressivement la santé sur le ring...

Car dans le catch version Stallone, les lutteurs se mettent vraiment sur la tronche, alors même que, dans les années 40, la nature simulée de la discipline était déjà largement connue...  Quoiqu'il en soit, le film bénéficie de la présence de légendes du catch, notamment Terry Funk dans le rôle du vilain Franckie la Tabasse, et les combats sont plutôt bien chorégraphiés (un autre grand talent de Stallone).
Pas vraiment porté sur la subtilité, Stallone met également le paquet pour nous dépeindre la misère d'un Hell's Kitchen aux allures de Londres de Dickens et à la population digne de la proverbiale cour des miracles. Pas étonnant dès lors, d'y croiser Tom Waits à la fois dans un de ses premiers rôles au cinéma, celui d'un joeur de panio bar, et comme contributeur à la bande originale du film (signée Bill Conti, déjà auteur du score de Rocky).

Sur le papier, "Paradise Alley" devrait être le film le plus personnel de Stallone. Non content d'en avoir écrit le scénario, de la réaliser et de l'interpréter, à la manière d'un Orson Welles, Sly va même jusqu'à chanter le générique du film. "Too Close To Paradise", une chanson classieuse et dégoulinante de sentimentalité.




Un film personnel également en ce qu'il réunit plusieurs obsessions stalloniennes. 

Il y a en effet un peu de Rocky -l'alter ego de Sly - dans Commo, le personnage campé par Stallone. S'il n'est pas aussi sympathique que le boxeur au grand coeur, il partage le même bagou et sens de la vanne vaseuse ainsi qu'un profil de loser magnifique.  

On pourrait également se risquer à voir dans Lennie, le frère maudit estropié par à une blessure de guerre, un drôle d'écho anticipé au message porté par  "First Blood" (1982), le premier Rambo. Il faut en effet rappeler qu'à l'instar de la franchise Rocky, la série des Rambo était alors porteuse d'une dimension sociale, rapidement troquée contre la panoplie clinquante du mauvais goût 80's.  Ainsi, dans le premier opus, John Rambo est un vétéran de la guerre du Viêt Nam, errant à travers le pays, hébété par le traumatisme de la guerre. Quand il est arrêté pour vagabondage par un shérif au patriotisme zélé supportant mal de voir déambulant ce symbole de défaite nationale dans sa ville, Rambo se transforme en machine de guerre, conditionné par ses douloureux souvenirs de guerre.

Malheureusement, Sly, victime de la dictature de la production, devra opérer des coupes dans les scènes au détriment de la cohérence et de la crédibilité du scénario. Il faut reconnaître que l'interversion des caractères entre Como, le beau parleur rapidement rattrapé par ses scrupules, et Lennie, dont le bon sens ne tarde pas à être émoussé par l'appât du gain, paraît un peu soudaine et que l'évolution des personnages aurait certainement mérité d'être davantage creusée...

On pourrait également reprocher à Stallone d'avoir cherché à tirer sur les mêmes grosses ficelles que celles de "Rocky". La fin de ce "Paradise Alley" est effectivement marquée par un combat particulièrement éprouvant entre Victor et Franckie la Tabasse et qui n'est pas sans rappeler celui de l'étalon italien face à Appolo Creed.

"Paradise Alley" n'en reste pas moins un film super plaisant, son charme 70's n'y étant certainement pas pour rien. Il permet, surtout, de redécouvrir un Stallone plus sincère et intimiste et aux talents multiples, à des années lumières de l'image du Monsieur Biscotos à laquelle il est malheureusement bien souvent réduit...