dimanche 31 décembre 2017

Yoda, Maître Jedi... ou Maître Zen?

"Star Wars Episode VIII: Les Derniers Jedi", dernier opus en date de la saga, semble traversé de véritables éclairs de fulgurances zen.

Yoda Zen
 
Je n'ai rien contre "Star Wars". Pour autant, si je ne doute pas de la sincérité des fans les plus hardcore de la franchise, l'engouement excessif entourant la sortie de chaque nouvel épisode  m'a toujours un peu fatigué. Surtout, et malgré ses évidentes qualités de divertissement, la saga m'a toujours paru un brin prétentieuse alors même qu'elle semblait souffrir d'un certain manque de profondeur.

La réflexion sur les origines et le devenir de l'univers, demeure depuis toujours le sujet de prédilection de toute oeuvre de science-fiction. "Star Wars" pouvait aisément s'en passer. L'originalité et la richesse de son univers suffisait à palier toute insuffisance sur le fond, d'autant plus que ce space opera semble au final se rattacher davantage à la sphère du fantastique au sens large qu'à celle de la science fiction.

Le concept fumeux entourant la religion Jedi m'a ainsi toujours paru n'être qu'un malheureux cache-misère, plus à même de mettre en lumière l'indigence philosophique de la saga qu'à lui donner un semblant de profondeur - ce qui était, j'imagine, l'effet escompté. Dommage, tellement il était évident que George Lucas avait puisé son inspiration dans une matière de premier choix: le folklore bouddhique, et plus particulièrement le zen japonais. La robe de Yoda, comme sa manière éliptique de s'exprimer, n'est en effet pas sans  rappeler les maîtres Zen les plus illustres. 

Le dernier opus en date, "Star Wars Episode VIII: Les Derniers Jedi", visionné au cinéma lors d'un paresseux après-midi de vacances de Noël m'a toutefois  amené à réviser mon jugement. Ce film, s'il verse parfois dans le cliché mystico-oriental (Luke Skywalker méditant en lévitation sur un rocher) est, en effet,  traversé à d'autres endroits de véritables éclairs de fulgurances zen.

Le premier d'entre eux intervient lorsque Luke présente la Force comme le principe reliant toutes choses entre elles, faisant ainsi écho au concept d'interdépendance. En effet, selon la doctrine bouddhique, rien n'a d'existence propre car tout ce qui est dans l'univers se trouve au carrefour d'une multitude de chaînes de causes à effets. La chenille existe car elle est en mesure de se nourrir de la feuille. La feuille provient quant à elle de l'arbre qui, lui-même, ne saurait exister s'il n'était pas planté dans la terre, etc... Selon Dõgen, fondateur de l'école zen Soto, l'observation de la nature   permet de contempler la Dharma, soit la réalité ultime de l'univers. Or, dans le film, l'apprentie Jedi Rei saisit justement la nature profonde de la Force en se plongeant dans l'observation du cycle de régénération organique de la nature, laquelle renaît continuellement en se nourrissant de sa propre matière putréfiée.

Plus loin, Yoda surprend Luke alors que celui-ci, déçu par l'échec des Jedi à assurer l'équilibre entre les côtés clair et obscur de la Force, s'apprête à bruler les écrits fondateurs de la religion Jedi. A la grande surprise du spectateur, Yoda devance son élève mais met lui-même feu aux illustres volumes. Ces lectures sont distrayantes, explique-t-il pour justifier son geste, mais le Jedi doit être en mesure de se passer de ces écrits.

On peut ici voir une référence à un célèbre koan Zen. Lorsque l'un de ses élèves a demandé au maître zen Unmon ce qu'était le Bouddha, ce dernier lui a répondu qu'il n'était rien d'autre qu'un "bâton à merde", signifant ainsi que tout le canon des textes bouddhistes n'était au final que du papier bon pour se torcher les fesses! (Pour ceux que le sujet intéresse, l'art de s'essuyer les fesses fait l'objet d'un long développement dans l'un des chapitres du Shobogenzo, l'un des textes fondateurs du zen Soto.) 

Le satori (illumination) consiste en effet à faire l'expérience ultime de la réalité, à acquérir une vision pure et objective du monde en se débarrassant des filtres psychologiques et culturels par lesquels est habituellement conditionné l'observateur. La réalité, insaisissable par l'intellect, ne saurait donc être appréciée à travers le prisme étroit d'une quelconque doctrine philosophique ou religieuse. Le Dharma (enseignement) doit être vu comme un chemin et non comme une finalité. L'élève parvenu à maturité doit alors être en mesure de se débarrasser de toute vision conceptuelle pour atteindre l'illumination.

A ce moment du film, Luke a refusé de prêter main forte à l'Alliance rebelle dans son combat contre le Premier Ordre, nouveaux représentants du côté obscur de la Force.  Pour rappeler son élève à l'essentiel, Yoda l'enjoint d'arrêter à se perdre en élucubrations sur la légitimité des Jedi alors même que la raison d'être de l'Ordre se trouvait "ici et maintenant", juste sous son nez, alors que Rei tentait de la convaincre de partir en bataille à ses côtés! 

L'ancrage dans l'ici et le maintenant est l'essence de la pratique de zazen (méditation assise). La doctrine bouddhique part en effet du principe que la  vie est par nature "frustration" (Dukkha). Cette frustration est causée par notre attachement aux choses,contrarié par la nature changeante et impermanente de l'univers (chaque chose vieillit, meurt, disparaît pour être remplacée par une autre).  La frustration découle également de l'illusion qui nous pousse à toujours à imaginer que la réalité a davantage à nous offrir que ce qui nous est déjà directement disponible (le gazon du voisin est toujours plus vert que le nôtre). Or, en se concentrant sur l'ici et le maintenant, le méditant parvient à apprécier chaque chose pour ce qu'elle est dans son état présent tout en acceptant son caractère impermanent...

Bon, j'imagine qu'il y a encore beaucoup à dire sur le sujet! Une rapide recherche sur Google m'a d'ailleurs appris, sans surprise, que d'autres avaient déjà pointer et creuser le sujet des influences bouddhiques dans "Star Wars". Un livre entier est d'ailleurs consacré à cette étude: "The Darma Of Star Wars", écrit par un certain Matthew Bortolin. Quant à moi, je n'ai plus qu'à me taper l'intégralité de la saga pour réviser mon jugement, peut-être un peu hâtif, sur la portée philosophique de l'oeuvre...


lundi 18 décembre 2017

Space Cadets - Da Bomb (Vanguard Records - 1982)

 "Space Cadets" réunit un casting stellaire (Bernie Worrell et TM Stevens en tête) et propose une orgie de P-Funk totalement décomplexé.


Plutôt que de cadets de l'espace, ce groupe est en réalité composé d'une belle brochette de vétérans du funk. Visez plutôt: deux figures du P-Funk - le claviériste Bernie Worrell et le batteur Tyrone Lampkin -, le bassiste TM Stevens et Kevin Goins (ex- Quazar). Rien que ça ! Un certain Nairobi Sailcat officie à la guitare tandis que les vocaux sont assurés par Jesse Rae, une espèce de timbré en kilt qui collaborera plus tard avec Roger Troutman.

Cet album éponyme, s'il ne réinvente pas la poudre, n'en est pas moins foutrement efficace ! Guitares passées au phaser, voix filtrées à l'hélium et claviers intergalactiques participent ainsi à l'érection d'un véritable château gonflable funk aux grooves ludiques et pneumatiques. Parmi les morceaux les plus marquants, on pourrait citer « Make Me Funk (Fonkin'Straight Ahead) , véritable invitation au headbangin', « Love Slave » et sa ligne de basse insensée ou le gravement débile « Mother », énième variation sur le thème du standard « Louie Louie ».


S'il fallait trouver un mot unique pour décrire cet album, ça serait certainement l'adjectif « stupide » : crétin au point qu'il en devient génial (l'album a d'ailleurs été réédité en CD sous le titre "Da Bomb" avec, en autres bonus, le fort à propos "Lez Git Stoopid"). En somme, on pourrait en quelque sorte voir dans ce P-Funk bubble gum l'équivalent musical d'un repas au Mc Do : un plaisir superficiel et un peu coupable mais immédiat et franchement jouissif.

Sorti en 1981, soit après l'effondrement de l'empire Parliament-Funkadelic, "Space Cadets" est un peu la poire pour la soif du funkateer en rade de P. L'album que l'on découvre une fois que l'on a épuisé le répertoire entier de George Clinton, et que l'on fouille désespérément les coins, avec le vague espoir de tomber sur une ultime dose de P-Funk...