Derrière sa débilité de surface, "Capitaine Superslip" défend le pouvoir salvateur de
l'absurde et de l'imagination comme seuls remparts contre un monde
désespérément triste et rationnel, nourri par les névroses des adultes. Mais surtout, quelle poilade!
Le public s'est pas mal déchaîné sur la toile contre "Capitaine Superslip", dernier film d'animation des studios Dreamworks. Bizarrement, la critique "professionnelle", d'habitude plutôt incline à doucher l'enthousiasme des masses, a semblé apprécier, encourageant les spectateurs à ne pas se laisser tromper par la débilité assumée du titre.
En réalité, il n'est pas compliqué de comprendre pourquoi la critique a mieux apprécié ce film que nous autres, pauvres mortels aux goûts désespérément populaires. Le fait est que les salles projetant les films d'animation sont plutôt fréquentées par des familles venues offrir un moment de ciné à leur progéniture. Quant aux critiques, hé bien c'est leur boulot de mater des films.
J'imagine donc que, de la même manière que vous n'emmenez pas vos
enfants au boulot, ces projections professionnelles se déroulent entre
adultes (et c'est également mon cas: je vais moi-même voir ce genre de film tout seul, comme un grand!).
Or, les parents semblent se fier avant tout à
la réaction de leurs enfants pour juger de la qualité d'un film. Mais pas seulement! Les papas et mamans étant ce qu'ils sont, un tas de trucs ringards et ennuyeux rentrent en compte pour déterminer ce qu'ils ont, eux-même, pensé du film, au premier lieu desquels la "valeur éducative" de l'œuvre.
Et c'est justement là le problème! "Capitaine Superslip" n'est, au premier degré, qu'un délire régressif à l'humour scatologique décomplexé (et totalement jouissif!). Les valeurs morales défendues par le film, l'amour et l'amitié soit rien de très original, semblent traitées à la va-vite, comme pour remplir le cahier des charges. Et pourtant...
Derrière la crétinerie sans fond défendue par le film, se cache une vision du monde aussi exacte que subversive, malheureusement inaccessibles aux trop jeunes enfants et, il faudrait le croire, perdue pour un grand nombre d'adultes.
Georges et Harold sont donc deux élèves de CM1 fréquentant un établissement scolaire cauchemardesque dirigé d'une main de fer par l'irascible Proviseur, Monsieur Chon-Chon. Celui-ci, ultra terre à terre et rabat joie, mène la vie dure à nos deux protagonistes, dont les passes-temps favoris consistent à jouer de sales tours à leurs profs et créer des BD mettant en scène un super héro complétement absurde, le Capitaine Superslip. C'est alors que les deux amis parviennent à hypnotiser Chon-Chon et à lui faire endosser le costume (plutôt léger) de leur personnage favoris. Ils auront alors à affronter le professeur Crotofesses (malheureuse traduction du nom original Poopypants), scientifique timbré bien décidé à faire disparaître le rire de la surface de la planète!
Le film offre ainsi une vision très grise du monde des adultes, normé, ennuyeux, nourri par les névroses des figures institutionnelles qui le dirige et dont les enfants ne sont que les pauvres et innocentes victimes. Car au final, si Monsieur Chon-Chon est si ronchon, c'est qu'il est au fond très seul et malheureux. Quant au professeur Crotofesses, ce sont les moqueries essuyées (et plutôt mal, si j'ose dire) à cause de son nom qui l'ont rendu si amer.
En réalité, plutôt que la bêtise et comme le faisait déjà l'excellent "La Grande Aventure Lego", c'est en réalité le pouvoir salvateur de l'absurde et de de l'imagination comme seuls remparts contre un monde désespérément triste et rationnel, que défend le film. Une double lecture sans doute difficile à appréhender pour des bambins encore épargnés par les vicissitudes de la vie en société. Les adultes, eux, n'ont en revanche pas d'excuse. Alors, Chonchon ou Superslip, choisissez votre camp!
A la recherche des pépites discographiques, bobines filmiques et parchemins de comics perdus...
dimanche 29 octobre 2017
vendredi 27 octobre 2017
Bootsy Collins - World Wide Funk (Mascot Records - 2017)
Dans World Wide Funk, Bootsy Collins ne déroge pas à la formule initiée il y vingt ans déjà sur Fresh Outta P University. À savoir une liste d’invité longue comme le tarin de Sir Nose et un son à mi-chemin entre tradition P-Funk et tonalités contemporaines.
Lire notre chronique complète sur Funk-U
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dimanche 15 octobre 2017
Alice Cooper - Zipper Catches Skin (Warner Bros - 1982)
Retour sur "Zipper Catches Skin", le vilain petit canard de la discographie d'Alice Cooper. Un album à zipper, peut-être, mais surement pas à zapper!
"Special Forces" (1981) est souvent saluée comme une réussite, une habile adaptation du shock rock d'Alice Cooper au style new wave alors en vogue. "DaDa" (1983) déchaîne les passions, certains y voyant un chef d'oeuvre caché et d'autre le naufrage final d'un artiste en plein delirium tremens. En revanche, "Zipper Catches Skin" (1982) est généralement ignoré, coincé entre les deux albums susvisés comme "peau de zob dans une braguette" (c'est effectivement la traduction littérale de son titre).
C'est bien bête.
Ce n'est jamais marrant de voir un artiste sombrer dans l'alcoolisme. Et franchement, le look d'Alice époque "Special Forces" faisait plutôt penser à une drag queen de seconde zone rescapée d'un accident de la route qu'au membre d'un commando urbain terrorisant la ville à bord d'une jeep blindée, comme était sensé le suggérer le thème de l'album. "Zipper...", lui, a au moins le mérite d'être un disque fun et sans prise de tête autour d'un quelconque concept foireux.
Musicalement, le Coop' poursuit dans la veine new wave initiée par l'album précédent. Mais là où "Special Forces" faisait la part belle aux synthétiseurs, "Zipper Catches Skin" marque un net retour aux guitares tout conservant une approche brute et dépouillée. On peut même y voir, toute proportions gardées, une sorte d'album punk du Coop', pas tellement éloigné de ceux qu'enregistrait Iggy Pop à la même période (genre "Soldier" ou "Party"). Une approche musicale particulièrement efficace et jouissive. En plus, l'album est intelligemment divisés en deux face: la première lente et sophistiquées, la deuxième plus speed et azimutée.
Conceptuellement, et contrairement à la plupart de ses prédecesseurs, "Zipper Catches Skin" ne se rattache à aucun idée centrale, susceptible d'un faire un tout cohérent.
Mon délire personnel est toutefois d'écouter cette album d'une traite en suivant la logique propre d'un zapping télé du samedi soir. On saute entre, sur cette chaîne, un conte de noël ("Make That Money (Scrooge's Song)" en référence au personnage de Charles Dickens) et, sur celle-ci, en feuilleton en noir et blanc ("Zorro's Ascent") .
[ Petite parenthèse sur cette "ascension de Zorro" qui ouvre l'album par un rock hispanisant. Alice nous conte la mort du héro ("Zorro gît, sans vie, sous le soleil d'Espagne (...) Il a tiré l'épée de son fourreau. Ils étaient venus avec des flingues" - à propos, les aventures de Zorro se déroulent bien en Californie, alors mexicaine, et non en Espagne!). En effet, il a passé sa vie à voler son prochain mais avec le soucis de défendre l'opprimé ("Fouille ma poche, padre. Cache cette bourse d'or dans ta coiffe et que les maigre paysans se repaissent du bout de gras arraché à une quelconque aristocrate"). Alors, est-il promis à l'enfer ou au paradis?"Vous embêtez pas à prier pour moi" répond-t-il, car "Je suis le renard et je vais où il me plaît. Si les cieux m'ignorent, le diable m'adore (...) Et si Satan me dérange, le paradis a du boulot pour moi". C'est pas du texte ça? Dommage que les artifices grand guignol aient souvent fait de l'ombrage au talent d'auteur de Vincent Furnier.]
Zap. Sur cette chaîne, on enchaîne deux films de science-fiction. ""Class Of '84", d'abord, starring Micheal J Fox et avec sur sa BO "I Am The Future". Composée par le légendaire Lalo Schifrin et chantée par Alice, cette excellente ballade futuriste dresse le décor d'une société dystopique, rongée par l'isolement et l'insécurité.
Suit une quelconque série B narrant l'invasion de la terre par de belliqueux aliens. "No Baloney Homosapiens" est pourtant dédicacé à Steven Spielberg et E.T, le gentil extraterrestre. Un excellent morceau, introduit pas un superbe arpège de guitare, sur lequel le Coop' supplie une race d'aliens voraces d'épargner l'humanité car ne nous sommes pas des "baloney homosapiens". Le texte est à la fois touchant et marrant car reposant sur un jeux de mot crétin autour du double sens du terme baloney (bidon/saucisse). Les homosapiens c'est pas du bidon ni des saucisses, mais des êtres sensibles. "Mon sang est rouge, vous c'est de la glue noire qui coule. Mais ne pourrions pas, justement, éviter les saignements ? Ca vous irait? ".
Zap! Nous voici maintenant en seconde partie de soirée mais également sur la seconde face de l'album. Très homogène, elle enchaîne des morceaux rock directs et sans fioritures. La trilogie centrale de l'album ("Adaptable", I Like Girls", "Remarkably Insincere") est un film érotique de seconde zone. Alice y campe un séducteur cynique et menteur, prêt à sauter tout ce qui bouge en s'enfonçant dans le stupre et le mensonge.
Zap! On tombe maintenant sur un slasher movie avec "Tag, You're It" et sa référence au film "Halloween" de John Carpenter. Tapis dans l'ombre, une paire de ciseau entre les doigts, Alice s'amuse à persécuter sa pauvre fiancée, Debbie.
L'album finit sur deux morceaux particulièrement jetés, dopés par les coeurs de Flo & Eddie (les chanteurs des Turtles avec leur tube "Happy Together"). "I Better Be Good" sonne suffisamment punk pour passer pour un morceau des Dead Kennedys. Quant au titre de clôture "I'm Alive", c'est un concentré de crétinerie décomplexée. Sur un tempo effréné, Cooper est sauvé de divers périls par ses défunts animaux domestiques soudainement ramenés à la vie. Le fantôme de son chien le sauve de la charge d'un semi-remorque, celui de son cheval d'une chute dans un canyon, tandis que ses amis les rats lui viennent en aide quand il pénètre imprudemment le territoire urbain de la bande des Crutches.
Bref, vous l'aurez compris: malgré l'absence de classiques, "Zipper Catches Skin' est un sacré délire régressif avec son titre stupide et sa brochette de morceaux débiles. Un album à zipper, peut-être, mais certainement pas à zapper!
"Special Forces" (1981) est souvent saluée comme une réussite, une habile adaptation du shock rock d'Alice Cooper au style new wave alors en vogue. "DaDa" (1983) déchaîne les passions, certains y voyant un chef d'oeuvre caché et d'autre le naufrage final d'un artiste en plein delirium tremens. En revanche, "Zipper Catches Skin" (1982) est généralement ignoré, coincé entre les deux albums susvisés comme "peau de zob dans une braguette" (c'est effectivement la traduction littérale de son titre).
C'est bien bête.
Ce n'est jamais marrant de voir un artiste sombrer dans l'alcoolisme. Et franchement, le look d'Alice époque "Special Forces" faisait plutôt penser à une drag queen de seconde zone rescapée d'un accident de la route qu'au membre d'un commando urbain terrorisant la ville à bord d'une jeep blindée, comme était sensé le suggérer le thème de l'album. "Zipper...", lui, a au moins le mérite d'être un disque fun et sans prise de tête autour d'un quelconque concept foireux.
Musicalement, le Coop' poursuit dans la veine new wave initiée par l'album précédent. Mais là où "Special Forces" faisait la part belle aux synthétiseurs, "Zipper Catches Skin" marque un net retour aux guitares tout conservant une approche brute et dépouillée. On peut même y voir, toute proportions gardées, une sorte d'album punk du Coop', pas tellement éloigné de ceux qu'enregistrait Iggy Pop à la même période (genre "Soldier" ou "Party"). Une approche musicale particulièrement efficace et jouissive. En plus, l'album est intelligemment divisés en deux face: la première lente et sophistiquées, la deuxième plus speed et azimutée.
Conceptuellement, et contrairement à la plupart de ses prédecesseurs, "Zipper Catches Skin" ne se rattache à aucun idée centrale, susceptible d'un faire un tout cohérent.
Mon délire personnel est toutefois d'écouter cette album d'une traite en suivant la logique propre d'un zapping télé du samedi soir. On saute entre, sur cette chaîne, un conte de noël ("Make That Money (Scrooge's Song)" en référence au personnage de Charles Dickens) et, sur celle-ci, en feuilleton en noir et blanc ("Zorro's Ascent") .
[ Petite parenthèse sur cette "ascension de Zorro" qui ouvre l'album par un rock hispanisant. Alice nous conte la mort du héro ("Zorro gît, sans vie, sous le soleil d'Espagne (...) Il a tiré l'épée de son fourreau. Ils étaient venus avec des flingues" - à propos, les aventures de Zorro se déroulent bien en Californie, alors mexicaine, et non en Espagne!). En effet, il a passé sa vie à voler son prochain mais avec le soucis de défendre l'opprimé ("Fouille ma poche, padre. Cache cette bourse d'or dans ta coiffe et que les maigre paysans se repaissent du bout de gras arraché à une quelconque aristocrate"). Alors, est-il promis à l'enfer ou au paradis?"Vous embêtez pas à prier pour moi" répond-t-il, car "Je suis le renard et je vais où il me plaît. Si les cieux m'ignorent, le diable m'adore (...) Et si Satan me dérange, le paradis a du boulot pour moi". C'est pas du texte ça? Dommage que les artifices grand guignol aient souvent fait de l'ombrage au talent d'auteur de Vincent Furnier.]
Zap. Sur cette chaîne, on enchaîne deux films de science-fiction. ""Class Of '84", d'abord, starring Micheal J Fox et avec sur sa BO "I Am The Future". Composée par le légendaire Lalo Schifrin et chantée par Alice, cette excellente ballade futuriste dresse le décor d'une société dystopique, rongée par l'isolement et l'insécurité.
Suit une quelconque série B narrant l'invasion de la terre par de belliqueux aliens. "No Baloney Homosapiens" est pourtant dédicacé à Steven Spielberg et E.T, le gentil extraterrestre. Un excellent morceau, introduit pas un superbe arpège de guitare, sur lequel le Coop' supplie une race d'aliens voraces d'épargner l'humanité car ne nous sommes pas des "baloney homosapiens". Le texte est à la fois touchant et marrant car reposant sur un jeux de mot crétin autour du double sens du terme baloney (bidon/saucisse). Les homosapiens c'est pas du bidon ni des saucisses, mais des êtres sensibles. "Mon sang est rouge, vous c'est de la glue noire qui coule. Mais ne pourrions pas, justement, éviter les saignements ? Ca vous irait? ".
Zap! Nous voici maintenant en seconde partie de soirée mais également sur la seconde face de l'album. Très homogène, elle enchaîne des morceaux rock directs et sans fioritures. La trilogie centrale de l'album ("Adaptable", I Like Girls", "Remarkably Insincere") est un film érotique de seconde zone. Alice y campe un séducteur cynique et menteur, prêt à sauter tout ce qui bouge en s'enfonçant dans le stupre et le mensonge.
Zap! On tombe maintenant sur un slasher movie avec "Tag, You're It" et sa référence au film "Halloween" de John Carpenter. Tapis dans l'ombre, une paire de ciseau entre les doigts, Alice s'amuse à persécuter sa pauvre fiancée, Debbie.
L'album finit sur deux morceaux particulièrement jetés, dopés par les coeurs de Flo & Eddie (les chanteurs des Turtles avec leur tube "Happy Together"). "I Better Be Good" sonne suffisamment punk pour passer pour un morceau des Dead Kennedys. Quant au titre de clôture "I'm Alive", c'est un concentré de crétinerie décomplexée. Sur un tempo effréné, Cooper est sauvé de divers périls par ses défunts animaux domestiques soudainement ramenés à la vie. Le fantôme de son chien le sauve de la charge d'un semi-remorque, celui de son cheval d'une chute dans un canyon, tandis que ses amis les rats lui viennent en aide quand il pénètre imprudemment le territoire urbain de la bande des Crutches.
Bref, vous l'aurez compris: malgré l'absence de classiques, "Zipper Catches Skin' est un sacré délire régressif avec son titre stupide et sa brochette de morceaux débiles. Un album à zipper, peut-être, mais certainement pas à zapper!
"Paradise Alley" de Sylvester Stallone (1978)
"Paradise Alley" ("La Taverne de L'enfer" en VF) ou la première réalisation d'un jeune premier nommé Sylvester Stallone.
Pour la plus grande partie du public, Sly est cette figure de film d'action bodybuildée dont les hauts faits des années 80 et 90 hantent désormais les premières et secondes parties de soirées sur RTL9. Ce que beaucoup ignorent, ou ont oublié, c'est qu'avant d'épouser ce stéréotype, la star a percé à travers des rôles dramatiques marquants et écrits sur mesures par Stallone lui-même.
En effet, si la suite de la saga verse dans la beaufitude, le premier "Rocky" (1976) est un excellent drame social hanté par des personnages cassés par la vie et néanmoins très attachants. Stallone campe ainsi Robert "Rocky" Balboa, un boxeur de seconde zone, profite d'une opportunité pour affronter Appolo Creed, champion du monde des poids lourds. Porté par l'amour d'Adrian, Rocky perdra le match mais gagnera son combat contre lui-même en résistant 15 rounds durands au gnons et beignes administrées par le charismatique Appolo.
L'histoire du film est bien connue. Stallone, acteur fauché, en a écrit le scénario et accepté de baisser le prix offert par la production, à la condition d'interpréter lui-même le premier rôle, pour lequel Robert Redford avait été un temps pressenti. Un coup de poker qui s'est avéré payant: trois victoires aux Oscars 1977, le lancement d'une série à succès et une vitrine de luxe pour les talents dramatique et d'écriture de Stallone...
Alors, comment est-on passé de "Rocky" à "Cobra" puis "Expendables"? La tentation hollywoodienne, la concurrence avec Schwarzy, la grosse tête (de l'aveu même de l'intéressé)... La conjoncture temporelle aussi, Sly s'étant vautré avec gourmandise dans le mauvais goût des 80's. La bascule s'est certainement produite en 1985 avec "Rambo 2" mais les tape-à-l'oeil "Rocky 3" et "Staying Alive" (improbable séquelle à "Saturday Night Fever" réalisée par Sly lui-même) en annonçaient déjà les signes avant-coureurs.
Reste qu'avant le déclin, Stallone a eu le temps d'inscrire son nom au générique de films à la trame dramatique un peu plus développées, parmi lesquels ce "Paradise Alley" (1978). L'allée du Paradis. Une traduction littérale tout de même plus classe que "La Taverne de l'Enfer", nom sous lequel le film est connu en France. Un titre bien gaulois qui fait malheureusement fi de l'ironie de la version originale (le film se déroule à Hell's Kitchen, un quartier craignos de New York). Les italiens ont, eux, opté pour un hybride: "Taverna Paradiso". Allez comprendre...
L'action se déroule en 1942 et suit les déboires de trois frères italo-américains faisant de leur mieux pour sortir de leur misère matérielle et sentimentale. Lennie - le corque-mort unijambiste, raisonné et taciturne -, Cosmo - le beau parleur interprété par Stallone - et Victor - le cadet, gentil simplet bâti comme un chêne. Pour réaliser ses rêves de succès, Cosmo va persuader Victor de se lancer dans une carrière de catcheur. Un projet d'abord vu d'un mauvais oeil par Lennie, qui va néanmoins finir par accepter de manager son petit frère. Des tensions, alimentées par une vieille rivalité amoureuse, vont alors ternir les relations entre les deux aînées alors que Victor se démolit progressivement la santé sur le ring...
Car dans le catch version Stallone, les lutteurs se mettent vraiment sur la tronche, alors même que, dans les années 40, la nature simulée de la discipline était déjà largement connue... Quoiqu'il en soit, le film bénéficie de la présence de légendes du catch, notamment Terry Funk dans le rôle du vilain Franckie la Tabasse, et les combats sont plutôt bien chorégraphiés (un autre grand talent de Stallone).
Pas vraiment porté sur la subtilité, Stallone met également le paquet pour nous dépeindre la misère d'un Hell's Kitchen aux allures de Londres de Dickens et à la population digne de la proverbiale cour des miracles. Pas étonnant dès lors, d'y croiser Tom Waits à la fois dans un de ses premiers rôles au cinéma, celui d'un joeur de panio bar, et comme contributeur à la bande originale du film (signée Bill Conti, déjà auteur du score de Rocky).
Sur le papier, "Paradise Alley" devrait être le film le plus personnel de Stallone. Non content d'en avoir écrit le scénario, de la réaliser et de l'interpréter, à la manière d'un Orson Welles, Sly va même jusqu'à chanter le générique du film. "Too Close To Paradise", une chanson classieuse et dégoulinante de sentimentalité.
Un film personnel également en ce qu'il réunit plusieurs obsessions stalloniennes.
Il y a en effet un peu de Rocky -l'alter ego de Sly - dans Commo, le personnage campé par Stallone. S'il n'est pas aussi sympathique que le boxeur au grand coeur, il partage le même bagou et sens de la vanne vaseuse ainsi qu'un profil de loser magnifique.
On pourrait également se risquer à voir dans Lennie, le frère maudit estropié par à une blessure de guerre, un drôle d'écho anticipé au message porté par "First Blood" (1982), le premier Rambo. Il faut en effet rappeler qu'à l'instar de la franchise Rocky, la série des Rambo était alors porteuse d'une dimension sociale, rapidement troquée contre la panoplie clinquante du mauvais goût 80's. Ainsi, dans le premier opus, John Rambo est un vétéran de la guerre du Viêt Nam, errant à travers le pays, hébété par le traumatisme de la guerre. Quand il est arrêté pour vagabondage par un shérif au patriotisme zélé supportant mal de voir déambulant ce symbole de défaite nationale dans sa ville, Rambo se transforme en machine de guerre, conditionné par ses douloureux souvenirs de guerre.
Malheureusement, Sly, victime de la dictature de la production, devra opérer des coupes dans les scènes au détriment de la cohérence et de la crédibilité du scénario. Il faut reconnaître que l'interversion des caractères entre Como, le beau parleur rapidement rattrapé par ses scrupules, et Lennie, dont le bon sens ne tarde pas à être émoussé par l'appât du gain, paraît un peu soudaine et que l'évolution des personnages aurait certainement mérité d'être davantage creusée...
On pourrait également reprocher à Stallone d'avoir cherché à tirer sur les mêmes grosses ficelles que celles de "Rocky". La fin de ce "Paradise Alley" est effectivement marquée par un combat particulièrement éprouvant entre Victor et Franckie la Tabasse et qui n'est pas sans rappeler celui de l'étalon italien face à Appolo Creed.
"Paradise Alley" n'en reste pas moins un film super plaisant, son charme 70's n'y étant certainement pas pour rien. Il permet, surtout, de redécouvrir un Stallone plus sincère et intimiste et aux talents multiples, à des années lumières de l'image du Monsieur Biscotos à laquelle il est malheureusement bien souvent réduit...
Pour la plus grande partie du public, Sly est cette figure de film d'action bodybuildée dont les hauts faits des années 80 et 90 hantent désormais les premières et secondes parties de soirées sur RTL9. Ce que beaucoup ignorent, ou ont oublié, c'est qu'avant d'épouser ce stéréotype, la star a percé à travers des rôles dramatiques marquants et écrits sur mesures par Stallone lui-même.
En effet, si la suite de la saga verse dans la beaufitude, le premier "Rocky" (1976) est un excellent drame social hanté par des personnages cassés par la vie et néanmoins très attachants. Stallone campe ainsi Robert "Rocky" Balboa, un boxeur de seconde zone, profite d'une opportunité pour affronter Appolo Creed, champion du monde des poids lourds. Porté par l'amour d'Adrian, Rocky perdra le match mais gagnera son combat contre lui-même en résistant 15 rounds durands au gnons et beignes administrées par le charismatique Appolo.
L'histoire du film est bien connue. Stallone, acteur fauché, en a écrit le scénario et accepté de baisser le prix offert par la production, à la condition d'interpréter lui-même le premier rôle, pour lequel Robert Redford avait été un temps pressenti. Un coup de poker qui s'est avéré payant: trois victoires aux Oscars 1977, le lancement d'une série à succès et une vitrine de luxe pour les talents dramatique et d'écriture de Stallone...
Alors, comment est-on passé de "Rocky" à "Cobra" puis "Expendables"? La tentation hollywoodienne, la concurrence avec Schwarzy, la grosse tête (de l'aveu même de l'intéressé)... La conjoncture temporelle aussi, Sly s'étant vautré avec gourmandise dans le mauvais goût des 80's. La bascule s'est certainement produite en 1985 avec "Rambo 2" mais les tape-à-l'oeil "Rocky 3" et "Staying Alive" (improbable séquelle à "Saturday Night Fever" réalisée par Sly lui-même) en annonçaient déjà les signes avant-coureurs.
Reste qu'avant le déclin, Stallone a eu le temps d'inscrire son nom au générique de films à la trame dramatique un peu plus développées, parmi lesquels ce "Paradise Alley" (1978). L'allée du Paradis. Une traduction littérale tout de même plus classe que "La Taverne de l'Enfer", nom sous lequel le film est connu en France. Un titre bien gaulois qui fait malheureusement fi de l'ironie de la version originale (le film se déroule à Hell's Kitchen, un quartier craignos de New York). Les italiens ont, eux, opté pour un hybride: "Taverna Paradiso". Allez comprendre...
L'action se déroule en 1942 et suit les déboires de trois frères italo-américains faisant de leur mieux pour sortir de leur misère matérielle et sentimentale. Lennie - le corque-mort unijambiste, raisonné et taciturne -, Cosmo - le beau parleur interprété par Stallone - et Victor - le cadet, gentil simplet bâti comme un chêne. Pour réaliser ses rêves de succès, Cosmo va persuader Victor de se lancer dans une carrière de catcheur. Un projet d'abord vu d'un mauvais oeil par Lennie, qui va néanmoins finir par accepter de manager son petit frère. Des tensions, alimentées par une vieille rivalité amoureuse, vont alors ternir les relations entre les deux aînées alors que Victor se démolit progressivement la santé sur le ring...
Car dans le catch version Stallone, les lutteurs se mettent vraiment sur la tronche, alors même que, dans les années 40, la nature simulée de la discipline était déjà largement connue... Quoiqu'il en soit, le film bénéficie de la présence de légendes du catch, notamment Terry Funk dans le rôle du vilain Franckie la Tabasse, et les combats sont plutôt bien chorégraphiés (un autre grand talent de Stallone).
Pas vraiment porté sur la subtilité, Stallone met également le paquet pour nous dépeindre la misère d'un Hell's Kitchen aux allures de Londres de Dickens et à la population digne de la proverbiale cour des miracles. Pas étonnant dès lors, d'y croiser Tom Waits à la fois dans un de ses premiers rôles au cinéma, celui d'un joeur de panio bar, et comme contributeur à la bande originale du film (signée Bill Conti, déjà auteur du score de Rocky).
Sur le papier, "Paradise Alley" devrait être le film le plus personnel de Stallone. Non content d'en avoir écrit le scénario, de la réaliser et de l'interpréter, à la manière d'un Orson Welles, Sly va même jusqu'à chanter le générique du film. "Too Close To Paradise", une chanson classieuse et dégoulinante de sentimentalité.
Un film personnel également en ce qu'il réunit plusieurs obsessions stalloniennes.
Il y a en effet un peu de Rocky -l'alter ego de Sly - dans Commo, le personnage campé par Stallone. S'il n'est pas aussi sympathique que le boxeur au grand coeur, il partage le même bagou et sens de la vanne vaseuse ainsi qu'un profil de loser magnifique.
On pourrait également se risquer à voir dans Lennie, le frère maudit estropié par à une blessure de guerre, un drôle d'écho anticipé au message porté par "First Blood" (1982), le premier Rambo. Il faut en effet rappeler qu'à l'instar de la franchise Rocky, la série des Rambo était alors porteuse d'une dimension sociale, rapidement troquée contre la panoplie clinquante du mauvais goût 80's. Ainsi, dans le premier opus, John Rambo est un vétéran de la guerre du Viêt Nam, errant à travers le pays, hébété par le traumatisme de la guerre. Quand il est arrêté pour vagabondage par un shérif au patriotisme zélé supportant mal de voir déambulant ce symbole de défaite nationale dans sa ville, Rambo se transforme en machine de guerre, conditionné par ses douloureux souvenirs de guerre.
Malheureusement, Sly, victime de la dictature de la production, devra opérer des coupes dans les scènes au détriment de la cohérence et de la crédibilité du scénario. Il faut reconnaître que l'interversion des caractères entre Como, le beau parleur rapidement rattrapé par ses scrupules, et Lennie, dont le bon sens ne tarde pas à être émoussé par l'appât du gain, paraît un peu soudaine et que l'évolution des personnages aurait certainement mérité d'être davantage creusée...
On pourrait également reprocher à Stallone d'avoir cherché à tirer sur les mêmes grosses ficelles que celles de "Rocky". La fin de ce "Paradise Alley" est effectivement marquée par un combat particulièrement éprouvant entre Victor et Franckie la Tabasse et qui n'est pas sans rappeler celui de l'étalon italien face à Appolo Creed.
"Paradise Alley" n'en reste pas moins un film super plaisant, son charme 70's n'y étant certainement pas pour rien. Il permet, surtout, de redécouvrir un Stallone plus sincère et intimiste et aux talents multiples, à des années lumières de l'image du Monsieur Biscotos à laquelle il est malheureusement bien souvent réduit...
dimanche 22 janvier 2017
"Paterson" de Jim Jarmush (2016)
Dans son dernier film, Jim Jarmusch nous invite à suivre pendant une semaine le quotidien de Paterson, chauffeur de bus introverti exprimant sa vie intérieure à travers la poésie qu'il couche chaque jour par écrit sur son précieux carnet.
Paterson, la ville dont il partage le nom et que lui-même habite, est une paisible bourgade ouvrière du New Jersey comptant, parmi ses célébrités locales, de grands noms de la poésie américaine, William Carlos Williams et son poulain Allen Ginsberg.
Au-delà de son homonymie, on peut donc dire que Paterson, le personnage, personnifie la ville qu'il habite en dissimulant, sous une apparence assez quelconque, les trésors de sa vie intérieure. Le film aborde donc le thème de l'alter ego et de la complétude intra et interpersonnelle. D'où les nombreux clin d'œil à la gémellité et au noir et blanc. Voire encore, le couple que Paterson forme avec Laura, aussi fantasque et expressive que lui-même est secret et contemplatif, et fonctionnant sur l'équilibre subtil de deux personnalités parfaitement complémentaire.
C'est peut-être dans cette idéal de complétude que se trouve la réponse à l'interrogation ultime que semble poser le film, celle de connaître les motivations profondes qui commandent l'acte de création artistique, quel que soit le vecteur par lequel celle-ci s'exprime.
Ainsi, Laura est à la recherche d'un moyen d'expression qui lui permettra de satisfaire sa créativité débridée, c'est au moins autant par souci de réalisation personnelle que pour des raisons plus prosaïque. La question qu'elle se pose la question est avant de savoir si sa nouvelle lui lui permettra de s'assurer un moyen de gagner sa vie, qu'il s'agisse de vendre des cupcakes ou de devenir une star de la country.
Paterson, lui, ne s'inscrit pas dans cette démarche. Il n'a aucune envie de publier ses poèmes, malgré les supplications de Laura. Pourquoi écrit-il, dès lors ? Est-il possible de se contenter de créer pour soi ou l'art doit-il forcément être partagé pour trouver sa raison d'être et sa légitimité? C'est la question qu'il semble se poser, dépité, alors que son chien vient de dévorer son précieux carnet de poème, effaçant à jamais toute trace de son oeuvre sur Terre.
La poésie répondrait donc simplement à un besoin naturel et impérieux d'exprimer sa vie intérieure, ne connaissant d'autre finalité que celle d'être satisfait. Mais alors, pourquoi Paterson ressent-il le besoin de lire ses poèmes à Laura ? Pourquoi est-il si profondément perturbé par la perte de son carnet?
Bien sûr, le film n'apporte aucune réponse à ces questions qu'il ne fait d'ailleurs que suggérer, renvoyant le spectateur à ses propres interrogations. Dont celle-ci: quelle obscure pulsion pousse son auteur à écrire un article de blog qui ne trouvera aucun lecteur ?
jeudi 1 décembre 2016
Doctor Strange: une interprétation psychésotéricospirituelle
Plus qu'un simple blockbuster, le dernier film estampillé Marvel Comics est un creuset de références improbables où se mêlent joyeusement psychédélisme, sagesse orientale et connaissances ésotériques.
Dernier superhéro issu du la célèbre maison d'édition a avoir été porté à l'écran, le Docteur Strange peut se targuer d'avoir apporté un coup de fraîcheur à la série des films Marvel dont la formule commençait sérieusement à s'essouffler. Un pari pourtant risqué tellement l'univers du bon docteur, empreint de paranormal et de mysticisme, est à mille lieues des mutants et autres machines de guerre auxquels a pu s'habituer le spectateur.
Créé en 1963, le Docteur Strange est, à l'instar de ses collègues X-Men, un pur produit de son époque. Mais si le combat des mutants pour l'intégration des mutants à la société faisait écho à celle des afro-américains pour la reconnaissance de leurs droits civiques, le Docteur Strange entendait, pour sa part, refléter la contre-culture de l'époque, marquée par le LSD et un intérêt nouveau de l'occident pour la spiritualité orientale. Ce qu'ont certainement tenu à rappeler les auteurs du film, en distillant ça et là quelques références bien senties aux 60's psychédéliques...
Ainsi, un Stan Lee hilare effectue ainsi son cameo habituel plongé dans la lecture incrédule des "Portes de la perception" d'Aldous Huxley. Ce livre, relatant les expériences de l'auteur du "Meilleur des Mondes" avec la mescaline, fait en effet partie des ouvrages de références sur l'expansion de conscience.
Ailleurs, le spectateur accompagne Benedict Cumberbatch, le temps d'une scène hallucinée aux allures de trip acide, dans un délirant tourbillon psychédélique jusqu'aux confins de l'univers. Un voyage cosmique qui n'est pas sans rappeler celui décrit par Timothy Leary dans "The Psychedelic Experience", réécriture lysegique du "Livre des Morts Tibétains". Une référence qui excuserait, dans une certaine mesure seulement, l'utilisation d'un folklore bouddhique édulcoré pour illustrer l'initiation de Strange au fin fond du Népal.
Si la forme peut paraître un peu grossière, reste qu'on peut voir dans la transformation de Strange la réalisation de sa nature de Bouddha. L'Ancien n'invite-t-il expressément Strange à se débarrasser de son ego, considéré par le bouddhisme comme une illusion ? La perte de ses mains symboliserait alors un renoncement (contraint) au monde matériel, rappelant le mudra que le méditant zen forme avec ses doigts : une position dans laquelle il est impossible d'attraper ou de manipuler quoi que ce soit. En progressant sur la voie spirituelle, Strange développe la compassion, qualité indispensable au bodhisattva, et poursuivra désormais des fins moins égoïstes.
Ce voyage initiatique vers l'orient à la recherche d'un enseignement secret rappelle celui raconté par Georges Gurdjieff dans son autobiographique "Rencontres avec des hommes remarquables". Cet illustre moustachu, détenteur d'un savoir ancestral pour certains et dangereux charlatan pour d'autre, l'homme devait apprendre à devenir un être complet en vibrant en harmonie avec les forces cosmiques. Le personnage du Docteur Strange fait d'ailleurs grand usage du corps astral, l'une des quatre enveloppes dont est composé l'être humain selon Gurdjieff.
Autre grande figure de l'ésotérisme, Cagliostro est quant à lui directement visé comme l'auteur d'un livre servant de porte vers les plus sombres dimensions cosmiques. S'il a prêté son nom à un personnage tiré de l'univers Marvel, le comte de Cagliostro est avant tout un personnage historique dont les supposés talents de guérisseur et de devin ont fait sensation au sein de la haute société du XVIIIème siècle. Disciple du non moins mystérieux comte de Saint-Germain, il avait, dit-on, percé les secrets du grand œuvre alchimique à savoir la réalisation de la pierre philosophale.
Cette pierre philosophale (oui, la même que dans Harry Potter) qui permettait, outre la transmutation des métaux vils en or, d'atteindre l'immortalité. Attribut dont jouit justement, dans le film, l'Ancien dont le look asexué rappelle par ailleurs le rebis, produit final du grand œuvre généralement représenté sous la forme d'un androgyne, symbole de l'union cosmique des énergies contraires.
Les Marvel Comics apparaissent donc bien plus riches que les inepties auxquels certains voudraient un peu trop rapidement les réduire. A condition, c'est vrai, de tirer un bon coup sur les proverbiaux cheveux...
Les Marvel Comics apparaissent donc bien plus riches que les inepties auxquels certains voudraient un peu trop rapidement les réduire. A condition, c'est vrai, de tirer un bon coup sur les proverbiaux cheveux...
jeudi 1 septembre 2016
De La Soul - and the Anonymous Nobody (AOI Records - 2016 )
"and the Anonymous Nobody" marque le retour gagnant de De La Soul après un silence discographique de plus de dix ans. Mais qui est cet "Anonymous Nobody" ?
"Saviors, heroes? Nah. Just common contributors hopin' that what we created inspires you to selflessly challenge and contribute. Sincerely, anonymously... nobody."
C'est sur ces mots que Dave alias Trugoy conclut le huitième album de De La Soul, laissant peut de doute sur l'identité du mystérieux inconnu: la communauté Kickstarter qui, par ses dons, a permis au groupe d'enregistrer cet album avec un comfortable budget de plusieurs centaines de milliers de dollars. Ce qui soulève inévitablement la question: est-ce qu'un groupe comme De La a besoin d'un pareil budget pour enregistrer un album? Non. Mais bien sur, le trio n'est pas tombé dans le piège évident consistant à s'efforcer de claquer cette somme obscène jusqu'au dernier centime, quitte à ce que la nécessité de dépenser tout cet argent serve de seule ligne directrice à l'album... Si? Eh bien...
Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un œil à la liste des invités: Snoop Dogg, Usher, David Byrne... Force est de constater que les 3 plugs Maseo, Pos et Dave ont tendance à s'effacer devant ces contributeurs pas si communs. Sur "Drawn" featuring Little Dragon, il faut patienter plus de cinq minute pour entendre Pos poser un couplet. Pas mal pour un morceau long de... cinq minutes trente! On se demande presque si cet "Anonymous Nobody" ne serait pas finalement le groupe lui-même...
Mais n'est-ce pas un travers bien connu des albums hip hop d'être noyé par une pléiade d'invités ? D'autant plus que la démarche style "De La Soul presents..." est finalement bienvenue s'agissant de rap, un style où l'album est souvent moins représentatif de la personnalité de son auteur que de la vision fragmentée d'une multitude de producteurs se relayant à chaque tour de piste. "and the Anonymous Nobody" doit donc s'apprécier comme une Production De La Soul à gros budget. Après tout, reproche-t-on à Quincy Jones de ne pas jouer une note sur "The Dude"?
En tout état de cause, l'album se distingue moins par son impressionnant casting que par la diversité des styles abordés. Comme si De La Soul avait avant tout décidé d'enregistrer de la musique au sens large, sans rechercher une quelconque crédibilité hip hop (qu'il n'a de toute manière plus à prouver). Certains morceaux mettent en avant l'expérimentation (le superbe "Greyhounds"), tandis que d'autres sonnent carrément pop (le final "Exodus) ou rock (le hard émulé et ampoulé de "Lord Intended"). L"Anonymous Nobody" pourrait ainsi tout aussi bien faire référence à ce caractère transgenre échappant à toute catégorisation...
A moins qu'il ne s'agisse de ces requins de studio, contributeurs discrets mais omniprésents de l'industrie musicale ? L'album a en effet été construit autour de jams conduits par la fine fleur des cachetonneurs de Los Angeles. Arrangements de cuivres rutilants, lignes de basse groovy et arpèges de guitare contribuent ainsi à une instrumentation live riche et savante, notamment sur le majestueux "Royalty Capes":
"Us 3 be the Omega like fish oil, This royal right be own no rentals". Si le flow est plus posé que par le passé, les jeux de mots en mille feuilles et les rimes complexes du duo de rappeurs Dave et Pos se encore bonifiées avec le temps. Autre perle: "Two words: I'm mortal. But the fans lift'em both together and remove the apostrophe"...
Aucun doute, finalement. Flows fluides et rimes en or: on tient bien là un album de De La Soul.
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